Les Innocents, le 28 décembre

Mgr Alice Hura – Charles Bugan

Mláďatká en slovaque signifie les bébés, c’est ainsi qu’est nommé le jour de la commémoration du massacre des Innocents, un épisode sanglant cité seulement dans l’Évangile de Matthieu (2, 16-18). Beaucoup d’historiens doutent de la véracité des faits et Flavius Josèphe, l’historien juif rallié aux Romains, n’en fait pas mention (alors qu’il mentionnera l’existence du Christ vers 93).
Néanmoins, le souvenir de ce massacre est célébré le 28 décembre pour les catholiques et le 29 décembre pour les orthodoxes.

La fête religieuse des Innocents, fait référence aux nourrissons (1) qui ont été massacrés par le roi Hérode l’Ascalonite, car il voulait faire périr le « nouveau roi » annoncé par les Mages (2).

Dans le milieu populaire slovaque, l’ancienne coutume du « fouettage des filles » par des garçons à cette période rappelle ce drame biblique et le martyre des enfants innocents (3).

La coutume du « fouettage des filles » après la Noël

Autrefois, la vie populaire en Slovaquie était organisée en fonction des travaux saisonniers et rythmée par les fêtes liturgiques. Les sources ecclésiastiques du 16e siècle mentionne que la coutume du « fouettage », à l’occasion de la Fête des Innocents, était acceptable par l’Église et c’est ainsi qu’elle bénit les branches de saule qui servent à tresser le fouet qui sera utilisé le 28 décembre pour le « fouettage des filles ».

En Slovaquie, la coutume de fouettage des filles après la Noël, le 28 décembre, était pratiquée par un groupe de garçons munis d’un fouet qui rendaient visite aux jeunes filles du village. Deux garçons, portaient un gros fouet symbolique, d’autres garçons portaient de plus petits fouets dans les pochettes de leur vêtement. Dès qu’ils arrivaient dans la maison, un des garçons donnait quelques coups de fouet sur les jambes de la fille à marier visitée.

La coutume de fouettage des filles de Noël était liée à l’hospitalité dans la maison ou à la soirée de réjouissance pour la jeunesse du village. La coutume du fouettage de Noël, appelé mládenkovanie était répandue dans les régions slovaques de Spiš, Horehronie et de Novohrad ainsi que dans certaines parties de la Slovaquie occidentale, mais elle est tombée en désuétude dès la moitié du 20e siècle.

Dans la région de Hont, il était aussi de coutume le 28 décembre, d’organiser un cortège des garçons avec le raifort. Il s’agissait d’une quête accompagnée de souhaits de bonne santé, forte comme le raifort. Les garçons, munis d’un raifort accroché à la cime d’une baguette flexible de bouleau, allaient rendre visite aux jeunes filles du village. Ils présentaient leurs vœux en récitant : « Doniesli sme vám chren aby ste boli celý rok zdraví – nous vous apportons un raifort pour que vous ayez une bonne santé toute l’année » (4). On leur donnait une petite récompense, des gâteaux traditionnels appelés koláče, des gâteaux en pâte levée, ou un peu d’argent. Les petits garçons recevaient des noisettes, noix, pommes, gâteaux, ou un peu de pièces de monnaie quant aux adolescents, ils obtenaient « l’hospitalité », c’est-à-dire une boisson alcoolisée, une tranche de pain et un saucisson, un jambon ou éventuellement de l’argent.

L’interdiction de travaux de couture

Il existait une autre coutume, attesté notamment dans la région de Trenčín, où était appliqué une interdiction de certains travaux, comme la couture, pendant le jour des saints Innocents, le 28 décembre. Le non-respect de cette interdiction pouvait provoquer la mort des enfants.

Dans la région de Turiec, dans le village de Belá, se conservait une interdiction : les femmes du village ne cousaient pas le jour des Saints-Innocents, c’était une interdiction superstitieuse de prévention afin que les poules pondent bien.

L’interdiction de travaux de couture était très répandue pour les femmes du village. Si une femme pratiquait un tel travail, ses doigts allaient devenir purulents. Mais si une femme préparait les plumes pour les édredons, elle devait attendre que la volaille ponde beaucoup d’œufs, sinon les oies ne prospéreraient pas bien.

Dans la région de Gemer, à la fin du 19e siècle, le jour des Innocents, le 28 décembre, il y avait le rituel de l’interdiction de passer le balai dans les coins de la chambre de la maison, pour empêcher de se débarrasser des petits esprits domestiques – les aïeuls de la famille – qui selon la croyance populaire, séjournaient pendant les fêtes de Noël dans les maisons de leur clan.

Prophéties agraires et météorologiques

Les pronostics agraires pour la bonne prospérité sont liés avec le jour des Innocents, par exemple : « Ak je na nebi veľa hviezd, bude veľa sliepok – si le ciel est étoilé, il y aura beaucoup de volaille ».

Le pronostic météorologique du jour des Innocents : « Ak prší celý deň, bude suchý rok – si la pluie tombe pendant toute la journée, l’année sera sèche » – ce sera la sécheresse pour l’année nouvelle.

La prophétie de la mort du jour des Innocents : « Ak prší dopoludnia, budú zomierať deti, ak popoludní, dospelí – si la pluie tombe avant midi, les enfants vont mourir, si c’est après midi, ce seront les adultes ».

Le jeu d’Hérode

C’est le jeu populaire de Noël, inspiré de l’évangile de Matthieu (2, 1-16). Il s’agit de l’épisode biblique concernant le roi Hérode l’Ascalonite. La pièce était jouée sous la forme du théâtre de marionnettes ou sous la forme du théâtre joué par des acteurs vers la fête des Saints-Innocents, moment de la commémoration du massacre des petits enfants par le roi juif Hérode l’Ascalonite à Bethléem. La forme théâtrale représente un motif moral : « la culpabilité et la punition ». Certaines formes théâtrales du jeu d’Hérode sont connues dans la région ethnographique de Zamagurie (nord de la région de Spiš) habité par les Gorals. Dans le spectacle aux versions théâtralisées, joué avec des marionnettes, on pouvait voir les poupées de l’Ange, des bergers Fedor, Stacho, Junák (younak) et Kubo, les Trois rois mages, le roi Hérode et la Mort. Le spectacle se termine par les scènes comiques jouées avec des poupées appelées : Gazdina – la Maitresse de maison, le Rabbin et la poupée du berger Valaque ou encore avec d’autres poupées comme un homme du nom de Jacek, un Tsigane et un Chien. La version du théâtre amateur avait des acteurs dans les rôles d’Hérode, du Rabbin, de Soldats. Dans la version de Zamagurie avec les acteurs réels, l’histoire se concentre sur le personnage du roi Hérode.
Dans le village de Topoľovka (district de Humenné), le drame d’Hérode est toujours joué sous la forme de théâtre d’amateur avec une interpolation de marionnettes, les acteurs amateurs tiennent les rôles du roi Hérode, du Juif, deux dans le rôle de Marschalek (5) et une dans le rôle d’une jeune Fille.

PS: On peut voir la représentation de cet épisode du Massacre des Innocents sur la fresque du mur Nord dans le chœur de l’église gothique Saint-Egide dans la ville de Poprad.

Texte extrait de notre conférence : Les traditions de Noël en Slovaquie

Notes

1 Hérode « envoya tuer tous les enfants de 2 ans et au-dessous qui étaient à Bethléem et dans tous son territoire… » Matthieu 2,16
Dans l’église gothique Saint-Egide de la ville de Poprad, on peut voir dans le chœur, sur le mur sud, la scène exceptionnellement naturaliste du massacre des Innocents (voir notre photo).

2 Lire la Légende dorée sur cet épisode et l’évangile de Mathieu 2

3 Ils sont appelés « Innocents » car « n’ayant jamais nui, ni à Dieu par désobéissance, ni au prochain par injustice, ni à eux-mêmes par malice en péchant » sic La légende dorée et encore, « dans leur martyre, ils méritèrent l’innocence baptismale, c-à-d que le péché originel fut effacé en eux ».

4 Le raifort (la racine forte) était très utilisé dès l’antiquité pour ses propriétés médicinales. Toujours utilisé de nos jours dans la préparation culinaire de la salade de betterave au raifort.

5 Voir la photo avec les 2 personnages « Marschalek » en uniforme sur www.topolovka.estranky.sk/fotoalbum/caro-vianoc-obohatili-kolednici_/kolednici.jpg.html

Sources

Vianoce na Slovensku…od Ondreja do Troch kráľov. Par Zuzana Drugová, 2008. Slovak edition – OTTOVO NAKLADATELSTVI, 2009

Ľudová kultúra. Par Zuzana Beňušková. Kultúrne Krásy Slovenska. Dajama

Malý lexikón ľudovej kultúry Slovenska. Kliment Ondrejka. Mapa Slovakia Bratislava 2003

Slovenský rok. Receptár na dni sviatočné všedné i pôstne. Ratislava Stoličná-Mikolajová. Vydavateľvo Matice Slovenskej. 2004

U nás taka obyčaj. Slovenské ľudové tradicie. Vojtech Majling. Computer Press, Brno. 2007

Z ľudovej kultúry Turca. Eva Pančuhová, Zora Mintalová a kolektiv. Matica slovenská. 2004

La légende dorée. Jacques de Voragine. Ed GF Flammarion. 1967

2000 ans de chrétientés. Guide historique. Gérard Chaliand et Sophie Mousset. Ed Odile Jacob. 2000

Icônes et saints d’Orient. Alfredo Tradigo. Guide des Arts. Ed. Hazan. 2005

La Sainte Bible. Par Louis Segond. Ed. La Société Biblique Canadienne. 1976