Saint Thomas, le 21 décembre, le solstice d’hiver

Mgr Alice Hura – Charles Bugan

La fête de la Saint-Thomas était célébrée liturgiquement le 21 décembre, mais depuis 1969, l’Église catholique romaine a transféré cette fête à la date du 3 juillet. Mais rien ne change pas dans les anciennes traditions slovaques de ce-jour-là, cette ancienne fête de Saint-Thomas est restée fixé sur le solstice d’hiver, le jour le plus court jour de l’année.

En Slovaquie, selon les anciennes coutumes, le jour le plus court était lié avec des interprétations de la magie de la naissance (création) de l’univers dans les anciens mythes slaves. Ces interprétations rendues à la nature et aux forces élémentaires constituent l’aspect majeur du paganisme slave qui remonte à une époque bien antérieure. Parmi ceux-ci, il y avait notamment le culte du renouveau solaire, sous le nom du dieu du feu céleste représenté par le soleil personnifié sous la figure de Dažbog/Dazhbog/Dabog un fils de Svarog, dieu suprême, éternel, inactif, antérieure aux dieux slaves, au-dessus de tous dieux slaves.

À la suite de la conversion au christianisme, le peuple ne mit pas longtemps avant d’abandonner leurs divinités anciennes, mais la croyance ancienne continua à coexister avec la nouvelle dans les traditions sacrées pré-chrétiennes notamment dans les régions rurales slovaques. On avait recours, pour que des vœux soient exaucés, tout à la fois aux prières chrétiennes et aux incantations païennes. Les gens voyant briller la justice de la divinité pure du Christ dans leurs diverses superstitions, allaient oublier les actes devenus sacrilèges du passé et cesser de les pratiquer à l’avenir. Mais on sait que les superstitions vont persister et former une forme de syncrétisme avec la religion chrétienne et les cultes païens dans certaines couches de la population.

C’est ainsi qu’autrefois en Slovaquie des superstitions vont persister comme sur le premier visiteur à la maison le jour de la Saint-Thomas (1), le 21 décembre, la prophétie de l’avenir, l’interdiction des visites des femmes et de certains travaux domestiques qui étaient rigoureusement interdits. Mais, pendant le jour du 21 décembre, les cortèges des vœux des petits garçons appelés polaznici étaient bienvenus.

Tandis que le jour de Sainte-Lucie, au regard des coutumes populaires slovaques, signifie le couronnement de la période avant la Noël, le jour de Saint-Thomas, le 21 décembre, avait moins d’importance.

Thomas se dit Tomáš (prononcer tomach) en slovaque. Il est le saint patron des métiers : rouliers – marchands, des maçons et des forêts.

Sur la majorité du territoire montagneux de la Slovaquie, l’ancienne fête de la Saint-Thomas, le 21 décembre, était connue comme la fête de la forêt. On disait : « Na Tomáša seď doma – à la fête de Saint-Thomas tu restes assis à la maison », cela signifie qu’en ce jour il faut éviter d’aller dans les montagnes. Ou, encore, dans la région de Kysuce : « Na Tomáša hora nie je naša – à la fête de Saint-Thomas, la forêt n’est pas pour nous », cela veut peut-être dire que la forêt, ce-jour-là, est sous la puissance impure du démon de la forêt.

Le 21 décembre on pratiquait le rituel de la magie du Premier jour, puisque le jour de la Saint-Thomas est le précurseur du solstice d’hiver. On respectait de nombreuses superstitions fixées à ce jour : rien n’était prêté de la maison, par exemple un objet quelconque, un œuf, du sel, une casserole… Le non-respect de cette interdiction allait signifier une diminution des provisions, une diminution du bétail, etc.
Les gens craignaient la visite d’une femme étrangère, mais aussi l’arrivée d’un mendiant à la maison. Si un mendiant venait quand même par arriver à la maison, les habitants, pour interrompre la sorcellerie éventuelle, jetaient devant les jambes du mendiant un balai composé de branches de sapin.

Les croyances agricoles et les travaux interdits

En Slovaquie, traditionnellement, obtenir les meilleures récoltes était très important pour la vie des paysans à l’époque et les rites païens d’origine étaient donc toujours pratiqués à l’occasion des fêtes religieuses et notamment le jour de la Saint-Thomas.

Parmi les coutumes et superstitions du jour on retrouve, au point de vue santé, que le beurre battu le jour de la Saint-Thomas était conservé comme un remède. Que, pour rester, en bonne santé, il était bon de nettoyer et blanchir la chambre pour le jour de la Saint-Thomas.

Au niveau interdictions, comme pour d’autres jours (2), les femmes du village ne pouvaient pas filer le jour de la Saint-Thomas. Cette superstition pouvait être suspendue mais seulement pour une fille à marier qui allait alors réaliser la prophétie d’avoir un mari en filant. La jeune fille pouvait filer du lin sous une condition : pendant le filage, elle devait inspirer profondément puis tout en expirant lentement, elle devait amener rapidement le fil de la filasse de lin – un fil le plus long possible – et ce fil va servir le soir de Noël. De retour de la messe de minuit, la jeune fille va s’attacher symboliquement à la table préparée pour la fête de Noël avec ce fil de Saint-Thomas. C’est alors que son futur mari va venir la détacher.

Les vœux des quêtes du cortège des petits garçons

Les petits garçons du village vont ensemble en cortège de porte en porte aux maisons du village, là, ils récitent de petites formules magiques bienfaisantes à l’approche des fêtes de Noël et ils tiennent en mains un fusil à aiguiser en métal. Ils souhaitent tout le bien et la bonne santé pour les maîtres de la maison, l’abondance d’animaux domestiques et pour la prochaine récolte et, bien entendu, la bonne fortune et la protection sous les ailes des anges.

En Slovaquie, les gens attentent avec impatience et espoir le cortège des polazníci – les petits garçons.

Dans les régions de Kysuce, Orava, Hont, très tôt le matin, les petits garçons venaient quêter tout en assurant le bonheur de la maison en récitant « Nesieme vám polazniky, Krista Pána radostníky – Nous vous apportons des polazniky, les joies de Notre Seigneur Jésus-Christ » et offraient un polazník, un rameau de sapin tressé avec des épis d’avoine et noué avec un ruban. Ces épis d’avoine faisaient auparavant partie de la couronne de la Fête de la moisson de blé.

Les vœux des Polazníci

On connaissait dans d’autres régions un cortège similaire mais composé de jeunes hommes. Ce cortège masculin était appelé « polazníci » (3). Ce groupe de jeunes hommes sélectionnés représentaient la force virile. C’était la manifestation physique d’un acte magique qui assurait la prospérité pour les habitants des maisons visitées. Les membres du cortège qui visitaient une maison étaient obligés de venir toujours par le bas côté du village ou de la maison. Cela signifiait un acte magique bienfaisant pour l’essor de chaque exploitation agricole visitée par le cortège de polazníci.
Un acte rituel de magie se déroulait alors dans la chambre de la maison et était réalisé avec l’aide d’animaux domestiques, souvent une brebis. Le maître de maison amenait la brebis dans la chambre, préparée pour ce jour (4), au moment où arrivait le cortège des polaznici. Cet acte magique était réalisé afin d’obtenir les meilleurs récoltes possibles lors de la saison prochaine. Il arrivait parfois que c’était un cheval, si sa taille le permettait, que le maître de maison amenait dans la chambre.

La valeur et le mérite des membres sélectionnés pour ce cortège de polazníci sera vérifié selon la qualité de la récolte de l’année suivante.

Dans le village de Terchová, le jour de la Saint-Thomas le jour de polaznik se nommait polazňa en dialecte local.

Dans la région de Kysuce, l’arbre de Noël était appelé polaznička, dans la région d’Orava, la partie le plus au nord de la Slovaquie, l’arbre de Noël était appelé podlaz en dialecte local.

En Slovaquie, la coutume de venir quêter avec l’acier était très répandue uniformément. Les cortèges des vœux des quêtes non seulement des petits garçons mais aussi des bergers étaient effectués, surtout dans les régions montagneuses. Les bergers, selon le rituel, restaient derrière la porte de la maison et prononçaient leurs vœux avec la formule : « Nesieme vám podlaz, panny Marie odkaz – Nous vous apportons un Podlaz – un message de la Vierge Marie ».

Le bon polazník qui prononçait un vœu et formulait un souhait selon la tradition, était choisi pour ses qualités physiques : il devait être jeune, en bonne santé et en force physique. Il devait arriver aux maisons du village pour prononcer son vœu de quête – de koleda – par le côté aval du ruisseau, de la rivière, pour que l’économie agricole soit florissante et pour qu’il n’y ait pas de régression économique de la vie agricole. Il ne pouvait être vêtu de fourrure le 21 décembre, c’était un mauvais signe car le port de fourrure signifiait la perte du bétail.

D’autres vœux

Dans les régions de la Slovaquie centrale (de Turiec, de Gemer, de Hont et de Novohrad), le cortège des vœux au jour de Saint-Thomas – la marche avec l’acier, était pratiqué jusqu’à la moitié du 20e siècle. Ce-jour-là, les femmes et les enfants prononçaient des vœux de quêtes avec l’acier ou un morceau de fer selon la tradition populaire. Ils venaient quêter tout en assurant le bonheur de la maison, on disait qu’ils accomplissaient la « Marche avec l’acier ».

Le fer symbolise la santé, la force physique « Je vous ai apporté de l’acier – Doniesol som vám ocele »… Leurs vœux de quêtes « je vous souhaite, nous vous souhaitons… », sont toujours dirigés vers l’abondance des récoltes, la bonne santé, le bonheur, beaucoup de volailles, beaucoup d’argent, les riches futur époux pour les filles à marier, les fiancées pour les garçons-jouvenceaux…

Dans certaines communes des régions de Šariš et de Kysuce, la pratique de la coutume du cortège des vœux le jour de Saint-Thomas était la même sauf que les membres du cortège apportaient des cailloux roulés par le ruisseau et sortis du ruisseau. Ils récitaient un souhait ardent de voir accomplir par la formule magique bienfaisante et offraient le caillou pour chaque maître de maison du village. Au printemps, ce caillou était apporté par le maître de maison sur le champ au moment de pratiquer le semis du blé. Il était alors assuré d’une bonne récolte avec de grands épis de blé.

La coutume de tuer le porc

Habituellement, le jour de la Saint-Thomas, il est de coutume de tuer le porc, ce qui est toujours usuelle en Slovaquie aujourd’hui. Les gens sont persuadés que la viande du cochon tué ce jour reste bonne très longtemps. Il est un fait que la viande mise à saler par temps froid se conserve mieux et que la charcuterie est l’un des mets favoris pour les fêtes de Noël.

Dans toutes les régions slovaques, selon l’ancienne coutume, le jour de la Saint-Thomas débute de bon matin par l’abattage du cochon élevé dans presque chaque maison du village. C’était un des grands moments et une occasion de convivialité festive persistant jusqu’à la fin du 20e siècle (5).

Les hommes de la maison préparent une grande cuve d’eau bouillante et une grande table, alors que les femmes préparent les récipients, les torchons, le sel et les épices. A l’arrivée de l’abatteur qui va tuer le cochon, les hommes boivent un gobelet d’eau-de-vie en honneur de l’animal qui sera tué. Après l’abattage, le sang est précieusement recueilli dans un récipient et brassé afin d’éviter la coagulation. Puis le porc est nettoyé, découpé en portions pour les cochonnailles (boudin, saucisses, saucissons, jambons, noix, etc.). La viande de porc se prête à la préparation de nombreux mets traditionnels et surtout à la conservation par salage et au fumage pour les saucisses fumées, le lard fumé, le saindoux et les rillettes, mets qui sont largement utilisés dans la cuisine traditionnelle slovaque. Un boudin blanc localement appelé Tomáš, est un témoignage du jour de la Saint-Thomas et de l’abattage traditionnel du cochon avant la Noël.

Dans la région de Turiec, au début du 20e siècle, toute la viande de porc était fumée (lard et viande) et une bouillie préparée avec le sang du cochon était servies aux invités à cette occasion, de même que la soupe à la choucroute avec les abats blancs du cochon (poumon, cœur, morceau de foie, sang ou les morceaux de viande rouge), soupe qui était offerte aux voisins qui avaient participé aux préparations de ce jour et à la famille. L’épaule du cochon était fumée, conservée et était préparée au menu de Pâques. Les côtes de porc étaient fumées et conservées pour la consommation avec des soupes de légumineuses pour les faucheurs, les ouvriers saisonniers de l’été.

Dans les régions de Liptov et de Turiec, les boyaux du cochon, bien lavés, sont préparés à la façon de boudins blancs mais ils sont remplis d’une farce composée de pâte de pommes de terre qui ont été préalablement râpées et assaisonnées avec de l’ail, du sel, du cumin et du poivre noir moulu, parfois avec de la marjolaine selon le goût local. Ensuite, rapidement ces boudins sont cuits à l’eau bouillante salée. Cette délicieuse préparation s’appelle droby, Liptovské droby.

L’amour et le mariage

Sur ce point, les croyances existaient dans de nombreux domaines. Par exemple, le 21 décembre, la jeune fille en âge de mariage qui voulait connaître son futur époux jetait sur le sol les os du porc (reste de l’abattage), pour la prophétie d’avoir un mari.

Les filles du village se ressemblaient dans la cour de la ferme et selon une coutume divinatoire, elles choisissaient des os du porc presque identiques et les arrangeaient sur le sol et elles appelaient le chien. Celui-ci saisissait un os et s’il l’apportait à une jeune fille, la première, elle pourrait se marier en premier dans l’année. Dans le village de Horný Vadičov (région de Žilina), on y raconte, que jadis, les filles se battaient pour ces os du porc et celle qui était la plus prompte, emportait tous les os et les offrait les au chien, si tout de suite il sautait (de contentement), elle serait mariée dans l’année. Mais il paraît aussi, que la plus prompte fille qui emportait la queue du porc et le suçait, son mariage était assuré.

Dans les régions de Kysuce et d’Orava, les jeunes hommes ou les bergers distribuaient, en se dissimulant, de petits arbres de Noël devant les maisons jusqu’à la Veille de Noël. Quand il voulait se faire connaître, la veille de Noël, en pendant la koleda, il se faisait connaître en jetant une poignée de grains d’avoine sur le sol chez le maître de maison lors de sa visite, il obtenait alors une récompense sous la forme d’un peu d’argent.

La prophétie agricole

Dans le village de Skalité (région de Kysuce), le matin de la Saint-Thomas, le maître de maison allumait le feu dans le poêle avec des bûches de bois dur, puis quand le bois brûlait bien, des tisons brûlants étaient sélectionnés, autant de tisons que le nombre du bétail qui était dans l’étable du maître de maison. Les tisons brûlants étaient alors placés sur le bord du poêle et chaque tison portait le nom d’une des bêtes domestiques. Il procédait alors à la prophétie pour la santé du bétail : si le tison brûlant s’enflammait en premier, cela signifiait un bon avenir pour la santé de cet animal domestique, si par contre le tison s’éteignait tout de suite, la bête allait être malade.

Autres interdictions à la Saint-Thomas

Autres interdictions : personne ne pouvait marcher dans le village en portant un vêtement déchiré, personne ne pouvait arriver dans la maison vêtu de fourrure, rien n’était prêter de la maison pour personne. Ne pas respecter ces interdictions apportait le malheur.

Notes

1 Le saint patron du jour, saint Thomas, est décrit comme ayant un caractère réaliste et qui faisait parfois carrément preuve de scepticisme. Il est, de ce fait, l’apôtre célèbre pour avoir touché les plaies de Jésus pour croire en sa résurrection, Il aurait alors poussé un cri de foi : « Mon Seigneur et mon Dieu ! » (Jacques de Voragine). C’est dans cette scène qu’il est le plus souvent représenté. Son attribut principal est une équerre, en allusion à la légende qui raconte qu’il aurait construit un palais aux Indes. Mais au 13e siècle il possédait un autre attribut qui était l’épée de son martyre. Au 15e siècle, selon une autre tradition, il porte la pique de son martyre.

2 Voir les fêtes de la Sainte-Catherine, de la Sainte-Lucie…

3 Le polaznik en singulier, les polaznici en pluriel, Polaznik dans la mythologie slave, est un personnage des fêtes du nouvel-an en tant que symbole de fécondité et de bonheur.

4 La chambre était nettoyée et blanchie pour le jour de la Saint-Thomas.

5 et encore pratiquée par endroit de nos jours même si les villages ont évolués et sont aujourd’hui aussi habités par des citadins venus « vivre à la campagne » et qui ne pratiquent donc plus l’élevage, la tradition est toujours respectée chez les villageois.

Texte extrait de notre conférence : Les traditions de Noël en Slovaquie

Sources

Vianoce na Slovensku…od Ondreja do Troch kráľov. Par Zuzana Drugová, 2008. Slovak edition – OTTOVO NAKLADATELSTVI, 2009

Ľudová kultúra. Par Zuzana Beňušková. Kultúrne Krásy Slovenska. Dajama

Malý lexikón ľudovej kultúry Slovenska. Kliment Ondrejka. Mapa Slovakia Bratislava 2003

Slovenský rok. Receptár na dni sviatočné všedné i pôstne. Ratislava Stoličná-Mikolajová. Vydavateľvo Matice Slovenskej. 2004

U nás taka obyčaj. Slovenské ľudové tradicie. Vojtech Majling. Computer Press, Brno. 2007

Z ľudovej kultúry Turca. Eva Pančuhová, Zora Mintalová a kolektiv. Matica slovenská. 2004

Le monde mythologique russe. Lise Gruel-Apert. Ed. Imago. 2014

Les saints compagnons du Christ. Emile Mâle. Ed. Beauchesne. 1958

La légende dorée. Jacques de Voragine. Ed GF Flammarion. 1967

La fête au Moyen Âge. Gérard Lomenec‘h. Ed.Ouest-France. 2015

Le temps de Noël. Tradition wallonne. Ed. Traditions et Parlers populaires Wallonie-Bruxelles asbl. 1992