Célestin Joubier, porté disparu

Mgr Alice Hura – Charles Bugan

Durant le conflit de la Deuxième guerre mondiale, des hommes et des femmes se sont engagés dans le combat contre le fascisme. L’histoire gardent de nombreux récits de leur combat, parfois loin de chez eux. Certains sont revenus, d’autres ont été portés disparu. C’est le cas de Célestin Joubier.

Son nom figure sur le Monument commémoratif des partisans français de Strečno en Slovaquie. A la demande de la famille, nous sommes allés à la recherche des éléments historiques qui expliquent pourquoi Célestin Joubier, un breton, a été « porté disparu », loin de chez lui – un peu plus de 2000 km – en Slovaquie.

Voici les résultats de l’enquête menée par Vaheurope

Célestin Joubier est né le 1er mai 1916 à La Baule-Escoublac (Loire-Atlantique, France). Ses parents, Yves Marie Joubier et Marie Joseph Hervoche auront 9 enfants. Célestin comptera ainsi 5 frères et 3 sœurs.

Après ses études, CEP et CAP, Célestin Joubier va exercer la profession de menuisier charpentier. Il accomplira son service militaire en 1936 au 2e Chasse R.C.T. de Tours.

Il sera, comme beaucoup d’autres, entraîné malgré lui dans la tourmente de la deuxième guerre mondiale. Respectant ses convictions et son désir d’être un homme épris de liberté il va s’engager dans le combat contre le fascisme.

Comment est-il arrivé en Slovaquie ?

En tant que membre du 32e régiment d’infanterie de l’armée française il est fait prisonnier au cours de la guerre contre l’Allemagne fasciste et se retrouve au camp de prisonniers XVII B à Gneixendorf (Autriche) dont il a finalement réussi à s’échapper vers la Hongrie où il sera repris et interné dans un camps disciplinaire d’où il s’évadera à nouveau le 15 août 1944 vers la Slovaquie (1). Là, il s’engage dans le « Groupe de Combattants français en Tchécoslovaquie » où il va combattre comme volontaire dans l’unité française du Capitaine Georges de Lannurien. Dénommée la Compagnie Française puis Bataillon Foch, cette unité composée d’évadés français a été créée par le capitaine de Lannurien.

(1) La République slovaque est un état indépendant qui résulte du démantèlement de la Tchécoslovaquie lors des accords de Munich (30 septembre 1938). Créée le 14 mars 1939, la République slovaque est dirigée par un prêtre catholique, Monseigneur Jozef Tiso est alors le premier ministre du gouvernement slovaque. Cependant, sa souveraineté, depuis son commencement était limitée par les relations avec l’Allemagne nazie dans le contexte du Pacte tripartite et la République slovaque est devenue un état satellite de l’Allemagne nazie. Après la guerre, le territoire de la Slovaquie a été incorporé dans la renouvelle république Tchécoslovaque le 9 mai 1945.

Son engagement et sa disparition

Célestin Joubier a été deux fois grièvement blessé. La première fois, il a été soigné à l’hôpital de Zvolen, du 6 au 8 Septembre 1944, pour une blessure à la jambe gauche et la deuxième fois, le 19 octobre 1944, pour une blessure par balle à l’épaule droite. (réf.1). Un document du Gouvernement militaire de Paris, daté du 27 septembre 1945 évoque : « blessé à la jambe (blessure légère) le 19 octobre 1944 à Nemce (Slovaquie). Hospitalisé du 19 octobre 1944 au 25 octobre 1944 à Sliac (Slovaquie). Evacué par avion soviétique vers la Russie le 25 octobre 1944. Départ : aérodrome de Triduby (district Zvolen en Slovaquie). Arrivée probable Kiew ou Lwow (URSS) ». Problème de date ! Nous retenons cependant la première car c’est ce qui figure dans les archives du musée SNP de Banská Bystrica. De plus le terme « arrivée probable » laisse aussi planer un doute sur l’exactitude du document français (lire la suite de nos recherches ci-dessous).

Le 23 octobre, quatre français, dont le lieutenant Jean-Luc Lehmann (30 ans, blessé à la cuisse lors des combats de Senohrad, près de Krupina, petite ville slovaque), le caporal Maurice Lerouge, (26 ans, blessé à Krupina) le soldat Célestin Joubier (28 ans, blessé lors des combats près de Senohrad), le soldat Jean Paul Cossard (20 ans, blessé près du village de Senohrad), sont évacués en avion vers l’URSS. L’avion Li-2 n°30 du capitaine Goubine (du 1er régiment d’aviation de Briansk) décolle de l’aéroport militaire slovaque Tri Duby – Trois Chênes (aujourd’hui aéroport militaire de Sliač) près de la ville Zvolen (Slovaquie) vers l’aéroport de Lviv d’où ils doivent être dirigés par un autre transport vers l’hôpital de Kiev en Ukraine.

L’avion soviétique Li-2 est attaqué dans la zone aérienne de Poprad à 22h15 à 3200m d’altitude par un chasseur allemand nocturne venant de la base aérienne de Mielec (en Pologne).

Le Li-2 est atteint au tableau de bord et au réservoir de kérosène gauche par de multiples balles des mitrailleuses frontales du chasseur allemand. Les flammes ont instantanément jailli du réservoir et se sont propagées le long de l’aile jusqu’à englober le cockpit. Le chasseur allemand continue de tirer sur l’avion en flammes, atteignant les passagers. Le pilote, le capitaine Goubine, n’arrive pas à remonter l’avion de sa chute. Puisque les deux réservoirs sont enflammés, l’explosion de l’avion peut survenir à tout moment. Le capitaine Goubine ordonne donc à l’équipage de sortir immédiatement de l’avion. Le premier à quitter l’appareil est l’opérateur radio S.P. Domachenko, et après lui, le tireur de bord O.S Chvedine. Le navigateur et lieutenant L. F. Kotlarevski va mourir de ses blessures après son atterrissage dans le bois de Kovaľová près de la commune de Ľubica (prononcez loubitsa). Les derniers à quitter l’avion sont le capitaine Goubine et le mécanicien de bord – le lieutenant S. N. Outkine, avec un parachute seulement car celui de Goubine est inutilisable, il est partiellement brûlé. Avant que l’avion n’explose, il se brise et la partie arrière où se trouvent les soldats insurgés blessés et partisans français gravement blessés, tombent d’une grande hauteur.

De ces blessés militaires transportés par l’avion soviétique, seul Anton Koprda a survécu : il a été propulsé dans la queue de l’avion par le souffle de l’explosion et cette partie s’est ensuite détachée du reste de l’avion et a lentement chuté dans un mouvement circulaire avant de tomber sur des branches de grands arbres. Dans l’explosion de l’avion, deux autres membres de l’équipage sont morts : le deuxième pilote et le lieutenant Y. N. Chichkine et le navigateur – le lieutenant A. Tagaï.

Les débris de l’avion sont tombés dans la chaîne de montagnes Levočské vrchy – les collines de Levoča dans la région slovaque de Spiš, plus particulièrement dans les bois près du petit village slovaque de Torysky (810 m d’altitude). Des pièces de l’épave sont aussi tombées sur le point géographique Javorinka – Petit Érable (1074 m d’altitude).

Dans l’attaque de l’avion et la chute qui s’en est suivie, des membres de la 2e brigade parachutiste tchécoslovaque : le lieutenant J. Hronský, le soldat J. Siksa, un para-brigadiste non-identifié ; et quatre français : le lieutenant Jean-Luc Lehmann, le caporal Maurice Lerouge, le soldat Célestin Joubier, le soldat Jean Cossard et une infirmière slovaque Alice Braun-Rutkay ont été tués.

Ils ont été enterrés après la guerre dans le cimetière de la ville de Levoča. En 1956, les restes des soldats français ont été déplacés dans la tombe commune sous le Monument commémoratif aux partisans français sur le sommet de la colline Zvonica – Campanile près de Strečno, un village avec un château-fort médiéval de la région de Žilina. Strečno, situé dans la vallée du Váh, fut le lieu d’âpres combats.

Le Monument fut inauguré le 29 Août 1956 devant le Ministre français Tanguy-Prigent, en présence des familles françaises.

L’après en France

Sa maman, Madame veuve Yves Joubier née Marie Joseph Hervoche, recevra un courrier daté du 22 novembre 1945 de la part du Capitaine De Lannurien, nous citons : « Ayant été le Commandant du Groupe des Combattants Français en Tchécoslovaquie, j’ai le douloureux devoir de vous faire savoir que toutes les recherches entreprises pour obtenir une certitude sur le sort de Joubier Célestin sont demeurées vaines ; lors de mon récent voyage en Tchécoslovaquie, j’ai procédé moi-même à des recherches inutiles. J’avais chargé la Croix-Rouge Internationale et la Mission de Rapatriement de Prague d’enquêtes qui n’ont donné aucun résultat. Dans ces conditions, étant obligé de régulariser la situation de Joubier Célestin vis-à-vis de l’Armée Française, je suis dans la triste obligation de le porter disparu au cours des opérations ».

Célestin Joubier, 2ème classe du « Groupe des Combattants français en Tchécoslovaquie » sera honoré par des décorations à titre posthume de la République française :

– La médaille militaire avec attribution de la croix de guerre avec palme. 21 mai 1946
– La médaille des évadés. Par décret du 5 mai 1950

Le contexte des Groupes de Partisans Français en Slovaquie

Les quelques 200 Français engagés en Slovaquie, pendant les affrontements de 1944-45, ont perdu au combat 55 tués et 42 blessés. Ceux qui ont survécu entrent en contact avec l’Armée rouge en janvier 1945. Regroupés à Odessa avec leurs anciens camarades restés en Hongrie et d’autres prisonniers libérés par les soldats soviétiques de la Prusse orientale, au nord, à la Styrie autrichienne au sud, à la fin du printemps 1945. Ils seront rapatriés avec 2000 autres compatriotes par le bateau Bergen Fjord qui arrive à Marseille le 8 avril 1945.

Des Résistants français vinrent en Slovaquie avant l’Insurrection national slovaque (SNP- de 29 août 1944 à 28 octobre 1944), des le début du mois d’août 1944.

En premier lieu, il s’agissait de soldats, sous-officiers et officiers de l’armée française qui, lors des combats contre l’armée allemande attaquant la France, avait été faits prisonniers et emmenés dans des camps – oflags ou stalags en Allemagne. Certains audacieux, après des tentatives d’évasions manquées et parfois des sanctions en camp disciplinaire, parvinrent à gagner la Hongrie, où la situation faite aux Français était relativement supportable (2). Mais le but de ces hommes, en traversant des pays d’Europe centrale, était de rejoindre les Forces Françaises Libres qui combattaient les armées de l’Allemagne nazie. Se heurtant à des impossibilités de passage (en Croatie par exemple), un groupe s’est alors tourné vers la Slovaquie après avoir été informé de l’insurrection qui se préparait en Slovaquie.

(2) Du fait de la neutralité vis-à-vis de la France de Vichy, la Hongrie accorde aux évadés français le statut d’internés, selon l’article 47 de la Convention de Genève. Cela changera après l’entrée des troupes nazies en Hongrie, le 19 mars 1944 et le parti des « Croix fléchées » porté au pouvoir par eux. Le gouvernement Salaszi va lancer contre les « internés » français un ordre d’internement général.

D’autres Français qui, réquisitionnés par le Service du Travail Obligatoire (S.T.O.) pour les allemands, avaient été déportés dans l’usine Škoda à Dubnica nad Váhom en Slovaquie dans une usine d’armement allemande en juillet 1944 (du 6 juillet jusqu’au 19 août 1944, 488 Français y étaient déportés). Ces jeunes Français s’évadèrent début septembre pour rejoindre le groupe venu de Hongrie commandé par le Capitaine Georges de Lannurien.

Cette unité combattante – une Compagnie Française – s’est formée et s’est organisée dans la vallée de Turiec à partir de la deuxième quinzaine d’août 1944.

Les premières missions militaires dans la région, entre Vrútky et Žilina, dans la vallée étroite du Váh (3), donnent lieu à des affrontements très durs qui se dérouleront dans le Défilé de Strečno (Strečnianska tiesňava) depuis le 31 août jusqu’au 4 septembre 1944, et sur le village de Priekopa (actuel. Vrútky-Priekopa) du 6 et du 9 septembre 1944. Après ces combats, les hommes passent quelques jours de repos (du 13 jusqu’au 19 septembre 1944) dans la station thermale de Sliač (près de Zvolen), puis ils participent à d’autres combats à Nemecké Pravno (actuel. Slovenské Pravno) le 20 septembre 1944, à Čremošné, à Svätý Kríž na Hronom (actuel. Žiar nad Hronom) du 21 jusqu’au 24 septembre 1944 et à Jánova Lehota le 25 septembre 1944.

(3) Ce passage par la vallée est très étroit. Creusé par la rivière Váh entre les montagnes Fatras (massifs de Grande Fatra et de Petite Fatra dans les Carpates occidentales) ce défilé est accessible seulement par la voie d’eau jusqu’à la fin du 19e siècle quand une grande ligne de communication sera construite (une voie ferrée avec des tunnels et une route nationale, reliant l’est avec l’ouest du pays par cette ligne septentrionale. A Vrútky-Priekopa, se trouve un nœud ferroviaire et un carrefour routier reliant est-ouest et nord-sud du pays, d’où l’importance des combats en ce lieu.

Après un repos dans la ville de Detva afin de permettre la réorganisation des unités de combat début octobre, le groupe repart au combat pour la défense du Sud-ouest du front où elle a soutenu des engagements très dur à Krupina du 13 au 18 octobre 1944, à Prenčov du 10 jusqu’au 11 octobre 1944, à Hontianske Nemce du 16 jusqu’au 19 octobre 1944, à Svätý Anton et enfin à Senohrad, le 20 octobre. Revenue à Detva, la Compagnie va poursuivre son périple jusqu’aux montagnes de la vallée du Hron (région Pohronie) et au village de Jasenie plus particulièrement, village situé sur les pentes méridionales des Basses Tatras.
Enfin, le troisième volet de la guerre de partisans se déroule lors de la répression du Soulèvement par les troupes nazies qui envahissent la Slovaquie. Les éléments de la Compagnie qui a éclaté en plusieurs petites formations plus ou moins nombreuses dont une équipe autour du Capitaine Georges de Lannurien (1915-1988), une autre avec le lieutenant et aumônier militaire Jean-Pierre Geyssely (1911-1999), de novembre 1944 à février 1945 (rencontre avec les unités de libération du front d’Ukraine), se réfugient dans les montagnes pour mener leurs raids.

Un grand merci

Nous remercions vivement les familles Clairet – Joubier et Ponchon qui nous ont transmis de nombreux documents et photos de famille et le musée SNP à Banská Bystrica.

Références

1 Francúzi v Slovenskom národnom povstaní (Les Français dans l’Insurrection Nationale Slovaque). Dušan Halaj, Ľubomir Moncoľ, Ján Stanislav. Grafické štúdio Ing. Petra Jurigu Banská Bystrica 2003. ISBN 80-89112-02-1

2 Musée SNP (Soulèvement National Slovaque) à Banská Bystrica en Slovaque.

3 Fašistické represálie na Slovensku (Druhé doplnené a rozšírené vydanie). Stanislav Mičev, Ján Stanislav, Jozef Rodák, Dušan Halaj. Vydavateľstvo Obzor, Bratislava 1990. ISBN 80-
215-0063-8

4 Slovensko – Dejiny. Ján Tibenský & collect. Vydavateľstvo Obzor, Bratislava. 1971

5 Dejiny Slovenska a Slovákov. Milan S. Ďurica. Slovenské Pedagogické Nakladateľstvo, 1996. ISBN 80-08-01427-X

6 La Résistance et les Français. Lutte armée et maquis. Actes du colloque international de Besançon – 15-17 juin 1995 publiés sous la direction de François Marcot. Des Français dans des maquis étrangers, par Yves Durand. Annales littéraires de l’Université de Franche-Comté. 1996. ISBN 2.251.60617.3

7 Les résistants de la dernière chance ; des français dans les maquis slovaques. Bohuš Chňoupek. Ed. Jacques Grancher. 1986. Avec l’accord de Slovenska Literarna Agentura (L.I.T.A.) Bratislava

8 Histoire des pays tchèques et slovaque. Antoine Mares. Ed Hatier. 1995

Sur le web :

http://www.muzeumsnp.sk/

http://gw.geneanet.org/duvgen?lang=fr;m=NOTES;f=Stalag (stalag XVII B)

http://www.unser-gneixendorf.at/le-camp-de-prisonniers-de-guerre-stalag-xvii-b/

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